> Récit
Quand deux manifs se rencontrent…
Le 1er décembre 2018, deux manifestations ont eu lieu sur Bordeaux. Celle des “Gilets jaunes” qui est partie de la Place de la Bourse et celle « Contre le chômage et la précarité » appelée par des organisations de chômeur-se-s et de précaires. À cette deuxième manifestation s’étaient jointes plusieurs organisations syndicales et politiques.
Certain-e-s militant-e-s de la CNT avaient choisi de manifester aux côtés des “Gilets jaunes”, d’autres ont préféré rejoindre l‘autre manifestation.
Les deux cortèges ont finalement fusionné place Pey Berland. Beaucoup de syndicalistes criaient « Tous ensemble », beaucoup de gilets jaunes ont repris ce slogan, avec plus de réserve toutefois.
L’accueil du cortège syndical par les “Gilets jaunes” a été mitigé, certain-e-s dénonçant une tentative de récupération de leur mouvement par la CGT et leur demandant de partir, d’autres prenant la défense des syndicalistes. Dans l’ensemble, on ne peut pas nier une certaine méfiance vis-à-vis des drapeaux et des banderoles syndicales.
Les affrontements
Les premiers gilets jaunes arrivés sur la place Pey Berland ont été accueilli par les forces de l’ordre et immédiatement gazés.
On pouvait sentir l’état de surexcitation qui émanait, à ce moment là, de cette place où se côtoyait une population très disparate. Entre des militants d’extrême droite (incrustés au milieu des gilets jaunes) et les syndicalistes, se trouvait surtout une masse de gens dont beaucoup participaient pour la première fois à un mouvement de contestation d’une telle ampleur.
Photo : Laurent Iban Perpigna
Sur cette place, on pouvait voir se côtoyer des drapeaux rouges et noirs, un drapeau palestinien, des drapeaux bleu-blanc-rouge. Les militants d’extrême droite en ont profité pour agresser un camarade de notre organisation syndicale ainsi que quelques jeunes femmes en disant « Elles veulent l’égalité, elles vont l’avoir ». Une salve de lacrymogènes lancés par les gardes mobiles a eu raison de cet affrontement.
Après avoir repoussé les forces de l’ordre dans la petite rue Elisée Reclus, les manifestant-e-s ont tenté de pénétrer dans l’Hôtel de ville au cri de « Apéro chez Juppé ». La violente réplique policière a fait à ce moment là deux blessés graves du côté des manifestant-e-s. Une blessure à la tête et une joue arrachée.
Les manifestant-e-s ont alors hurlé leur fureur contre ces policiers, alors que quelques minutes plus tôt ils les invitaient à rejoindre leurs rangs.
La place était recouverte d’un épais brouillard. Des camions de policiers encerclaient l’Hôtel de ville, sur le coté gauche de la mairie brûlait un grand feu que les manifestant-e-s entretenaient avec les poubelles du quartier. Les pavés autour de la cathédrale étaient descellés pour servir de projectiles, les échafaudages démontés et lancés sur les forces de l’ordre qui ripostaient en tirant des grenades lacrymogènes et des flash-ball qui atteignaient parfois les maisons autour de la place. On a pu entendre les sirènes d’une ambulance venue chercher un homme dont la main a été arrachée par une grenade de désencerclement.
Dans la foule, se croisaient, les yeux rougis et larmoyants, des gens abasourdis par la violence dont il.elle.s étaient victimes, mais surtout plein de rage. Certain.e.s gardaient leurs distances mais restaient par solidarité, d’autres repartaient dans la mêlée une fois qu’il.elle.s avaient respiré un peu d’air moins saturé de gaz lacrymogène. Les personnes présentes ne condamnaient pas la violence des manifestant-e-s, mais plutôt celle des forces de l’ordre !
L’affrontement s’est poursuivi ainsi jusqu’en fin de soirée, lorsque les flics ont chargé pour disperser les dernier-ère-s contestataires.
Photo : Laurent Iban Perpigna
La suite du mouvement ?
Le mouvement des “Gilets jaunes”, que la plupart des militant-e-s regardaient avec beaucoup de méfiance, a notamment réussi à organiser des blocages de points stratégiques de notre économie. En 1 mois, leurs revendications, qui se limitaient au départ à une baisse du prix de l’essence, se sont élargies pour dénoncer une forme d’injustice sociale et fiscale. Les grandes entreprises, qui polluent et génèrent de nombreux bénéfices, ne sont pas taxées. L’impôt sur les grandes fortunes a été réduit. Les réseaux de transports collectifs (et notamment les lignes ferroviaires) sont démantelés.
Malgré la répression et la fin de non-recevoir du pouvoir, ce mouvement social semble ne pas faiblir.
Aujourd’hui, alors qu’une forte colère sociale s’exprime, certaines directions syndicales et partis politiques tentent de se placer en interlocuteurs du pouvoir. Ils tentent de ramener la paix sociale ou de profiter des événements à des fins personnelles (et notamment électorales). Nous n’avons rien à attendre des négociations.
La CNT n’a eu de cesse de critiquer les stratégies syndicales qui ont conduit, en grande partie, à la défaite des derniers mouvements sociaux et à la défiance d’une grande partie des travailleur-se-s (avec ou sans emploi) vis-à-vis du syndicalisme.
La CNT maintient son attachement au fait de se tenir loin des partis politiques qui ne voient que leur intérêt propre, celui d’accéder au pouvoir.
Nous constatons également qu’au sein du mouvement des gilets jaunes tentent de s’immiscer de nombreux ennemis de la classe ouvrière. Notre inquiétude porte notamment sur la montée de la xénophobie qui pousse à penser que les immigré-e-s seraient responsables de la dégradation de nos conditions de vie.
Nous espérons que ce mouvement puisse déboucher sur la construction de solidarités entre travailleur-se-s pour bâtir collectivement la société dans laquelle nous voulons vivre.