Quand Fayat Travaux Publics fait le fayot des pouvoirs publics!

Cenon, banlieue de Bordeaux, Vendredi 28 mars 2011.

L’expulsion d’une cinquantaine de Roms de Roumanie vivant dans une maison abandonnée est en cours dans le Bas-Cenon. Le temps que quelques personnes se rassemblent pour contester cette opération; matelas, poussettes, oreillers et tout un tas d’affaires personnelles sont déjà entassées sur le trottoir. Les familles, dont plus d’une vingtaine d’enfants, sont désormais à la rue sans solution de (re)logement pour la nuit qui tombe déjà dans le froid et le crachin de cette soirée de janvier.
Les pouvoirs publics locaux ont saisi ce prétexte d’incendie pour donner ordre aux policiers d’emboiter le pas aux pompiers et de procéder à l’évacuation de cette maison vouée à la destruction (passage de la nouvelle Ligne Grande Vitesse oblige). Voilà une belle illustration de complémentarité entre ceux qui font les lois (comme la LOPPSI2*), ceux qui les font appliquer et ceux à qui elles servent.

Nous ne sommes guère surpris de voir les policiers procéder à ce type d’expulsion sans sommation. Nous ne sommes guère surpris que ça se fasse avec la complicité de la mairie et de la communauté de commune, toutes deux dirigées par le PS. Nous ne sommes pas tellement surpris non plus de voir ces actions se faire sous la bienveillance d’une agence de sécurité privée. Ce qui est un peu plus surprenant, c’est la participation d”une grande entreprise de Travaux Publics. Car le terrain où était érigée cette maison est bel et bien devenu un chantier en quelques heures seulement. C’est ainsi qu’une dizaine d’ouvriers de l’entreprise privée Fayat Travaux Publics s’affairent en ce début de soirée pour murer cette bâtisse. Ils pourront au moins se satisfaire des conditions « idéales » que leur entreprise a su déployer en un temps record pour le bon déroulement du chantier : le groupe électrogène, les projecteurs, la bétonnière, l’outillage et plusieurs véhicules bien équipés. Il faut dire que lorsqu’on est une entreprise familiale qui compte près de 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires, et qui se vante d’avoir su traverser les années de crise sans trop de difficultés, on peut se permettre quelques extras.
Mais on se demande quand même dans quelles circonstances, des ouvriers qui devraient jouir paisiblement d’un week-end mérité, ont pu être réquisitionnés pour la réalisation d’une tâche peu propre pour la conscience. A moins qu’ils ne soient candidats zélés aux heures sup’, car, comme dirait Manuel Valls, 35h c’est un peu léger.

Fayat, une entreprise proche de (chez) nous.

Fayat flambe en cité bordelaise. Le groupe a participé à de grands chantiers publics et notamment le dernier grand projet de notre ministre-maire ; le Tramway de Bordeaux (avec les copains kinenveulent : Bouygues, Vinci, Thalès ou Alstom). Chantier d’ailleurs lourdement entaché d’affaires de Pots-de-vins, de blanchiement ou de surfacturation, qui ont vaguement inquiété plusieurs de ces grandes entreprises et des hommes politiques locaux (de gauche comme de droite).
Mais Fayat flambe aussi à l’étranger : le métro du Caire (va t-il surmonter la crise?), un immense barrage en Algérie, une présence importante dans les Emirats Arabes Unis (notamment dans la ville de Dubaï – un bon élève de DSK).

Mais les mauvais esprits remballeront vite leurs critiques déplacées après un rapide coup d’œil sur la toile (www.fayat.com):
‘« Rejoindre FAYAT, c’est participer à une aventure collective, dans des entreprises à taille humaine au sein d’un groupe de dimension internationale.
Toutes nos filiales valorisent l’autonomie et le sens des responsabilités, avec un management de proximité fondé sur la confiance accordée à chacun. […]
Ce partage, et notre audace d’entrepreneurs, ont forgé nos réussites depuis plus de 50 ans. C’est cela, grandir ensemble. Bienvenue ! »

Car le groupe Fayat a des valeurs :audace, confiance et engagement, comme en témoigne une nouvelle fois, leur site internet :

AUDACE

  • Cultiver un esprit entrepreneurial pour aller de l’avant
  • Savoir prendre des risques mesurés

CONFIANCE

  • Développer l’esprit d’équipe, déléguer et faire confiance
  • Mettre les hommes au centre de l’entreprise, dialoguer pour trouver des solutions

ENGAGEMENT

  • Tenir nos promesses, assumer nos responsabilités et gérer nos projets avec pragmatisme
  • Analyser nos performances sans complaisance

Nous travaillons sans casque ni harnais, quand les patrons s’offrent des parachutes dorés.

Malheureusement, nous sommes relativement peu sensibles à la propagande mielleuse des directeurs de communications. Notre quotidien sur les chantiers et nos quelques convictions syndicalistes n’y sont peut-être pas pour rien … Par contre, ce qui nous excèdera toujours, c’est la capacité des patrons à faire participer les ouvriers à leur propre exploitation en leur vantant l’inépuisable photo de famille. De la PME à la multinationale, on trouve le même paternalisme : les ouvriers doivent respect et obéissance au daron.
Sur les chantiers (même si ce n’est pas une spécificité du bâtiment) on constate sans cesse l’excès de zèle, la compétition, l’obsession de parvenir. Comme si les ouvriers du bâtiment bâtissaient les murs de leur propre prison. Cette forme de servitude volontaire qui nous fait nous tirer une balle dans le pied.

L’exemple cité ci-dessus en est une illustration. Pourquoi les ouvriers d’une entreprise privée des Travaux Publics ont-ils accepté de venir murer cette maison un vendredi soir permettant ainsi l’expulsion de familles roumaines vivant dans une précarité extrême ? Sont-ils réquisitionnés ? Sont-ils volontaires ? Courent-ils derrière les heures pour enrober un peu la paye ? Ce sont-ils au moins posé la question sur l’objectif de leur mission? L’ont-ils fait pour un intérêt propre (voire par conviction) ou n’ont-ils pas osé s’opposer à leur hiérarchie. Il ne s’agit pas là de porter un jugement sur ces personnes mais une évidence nous saute à la gueule : tant que ne germera pas l’esprit critique dans les cerveaux de la « basse main d’œuvre », le capitalisme a encore un bien bel avenir devant lui. Et nous encore de nombreux cauchemars.

Notre objectif n’est nullement de faire la morale aux ouvriers (on leur fait déjà assez souvent) mais nous souhaitons que les travailleurs du BTP, de l’architecte au « manœuvre », se questionnent sur le rôle qu’ils jouent ou qu’on leur fait jouer dans un système qui génère des profits exorbitants pour des groupes, notamment grâce au marché du sécuritaire.

Faya Babylone !

Le SUBTP 33, Mars 2011

*LOPPSI 2 : cette loi, votée le 21 décembre dernier, va faciliter les expulsions de logement, « sans encombrer les tribunaux » puisqu’il sera désormais possible de procéder à toute évacuation d’habitation « non conforme au code de l’urbanisme » sans l’avis d’un-e juge ou d’un-e propriétaire éventuel-le.

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ul33

Syndicat CNT de la Gironde

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